Le cimetière qui accueillait les Juifs n’ayant pas le droit de mourir

L’antijudaïsme et l’antisémitisme en France ne remontent pas à l’affaire Dreyfus. Comme dans bien des pays les juifs ont été pourchassés, taxés, arrêtés, expulsés, tout au long de notre histoire. Entre 1780 et 1810, les Juifs qui à cette époque n’ont pas le droit de vivre … ni de mourir en France, trouvent temporairement un terrain où ils peuvent enterrer leurs morts. C’est ainsi, grâce à Louis XV, que naquit ce cimetière israélite, qui défie le temps … et les promoteurs.

Par un beau jour de sabbat …
1182 : Philippe-Auguste arrête et expulse tous les Juifs de France, avant de les rappeler en 1198 contre une forte somme en or. Déjà, il faut remplir les caisses de l’Etat et ses successeurs sur le trône ne se privent pas de monnayer la présence des Juifs sur le territoire. Pire, Louis IX (saint-Louis) leur ordonne de porter une rouelle cousue sur le devant et le dos de leur vêtement. L’ancêtre de l’étoile jaune.
S’ensuivent deux siècles où alternent tolérance relative – leur capacité à s’acquitter d’un impôt – et massacres sanglants.

Un bannissement perpétuel de 397 ans
1394 : La reine Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI Le Fol et régente, créancière des prêteurs juifs bannit à perpétuité les Juifs de France. Nous sommes le 17 septembre et ils ont jusqu’à Noël pour prendre leurs dispositions, sous peine de mort. L’interdiction de séjour va durer 397 ans.En 1791, la Monarchie constitutionnelle de Louis XVI, sous l’impulsion de l’abbé Grégoire, abolit toutes les lois d’exception à l’encontre des Juifs.

Paris, sous le règne de Louis XV
Quelle qu’en soit la raison – pauvreté, conversion forcée, protection d’un dignitaire … – il restait en France quelques Juifs qui achetaient la protection précaire de souverains étrangers. Mais ces clandestins précaires sont privés de leurs biens, de leurs lieux de culte et de leurs cimetières.
Au 46 rue de Flandres, on enterre dans l’enclos d’une auberge à l’enseigne de L’Étoile, les animaux que la maladie et l’épuisement ont détournés de l’abattage en boucheries. Son tenancier accepte d’inhumer les Juifs pour 50 francs (20 francs pour les enfants). Interdits d’enterrement, ils n’ont d’autres solutions que de mélanger aux bêtes leurs cadavres comme de vulgaires charognes.

Louis XV, de retour d’une soirée galante …
Accompagné de son conseiller-interprète Pereire (Jacob Rodrigues Pereira), précurseur de l’orthophonie de confession juive, le roi rentre au petit matin du Pavillon de l’Ermitage (actuellement dans le XXème arrondissement). Profondément marqué par le triste spectacle de corps qu’on bascule au milieu d’animaux morts, il finance, sur sa cassette personnelle, des travaux pour qu’hommes et bêtes ne soient plus mélangés.On attribue à cet épisode et à son amitié pour Pereire sa mansuétude pour les Juifs, dont le sort se trouvera considérablement adouci par l’Édit de Tolérance de 1787 de Louis XVI.

Les Israélites acquièrent le terrain mitoyen de l’auberge
Pereire en devient le promoteur, et en sera l’un des premiers inhumés, en 1780, dignement, en plein jour, contrairement aux conditions réservées aux Israélites, enterrés la nuit et en toute discrétion.En 1809, le Consistoire acquiert la nécropole de la rue de Flandre, qui lui appartient toujours et le ferme en 1810, la Révolution ayant instauré la liberté religieuse avec la liberté civile, les grands cimetières parisiens accueillent tous les défunts sans distinction.

Un cimetière privé de 35 mètres sur 12
Niché entre les immeubles du 44 avenue de Flandre, il est quasiment inaccessible puisqu’il faut passer par un appartement privé. Les quelques dalles funéraires épargnées par le temps et le vandalisme étaient accessibles lors des journées du patrimoine juif, mais un différent de voisinage rend aujourd’hui toute visite impossible, au grand regret du Consistoire.La religion juive interdisant le transfert d’une tombe et le cimetière étant classé monument historique depuis 1966, les promoteurs qui lorgnent sur l’emplacement font eux aussi l’expérience de la notion d’éternité.

Merci à l’historien Jean-François Decraene, dont le travail et la mémoire encyclopédique ont donné vie à cet article.

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