Le graveur du Père Lachaise

Sous la pluie fine du Père Lachaise les promeneurs n’en reviennent pas. Penché sur une tombe à peine protégée par une toile de tente sommaire, un homme, les outils à la main, donne un nom à la pierre.

L’homme s’appelle Luc Talarn. Regard pénétrant, sourire piquant, intelligence pétillante. Il est l’un des 10 graveurs sur pierre à travailler au Père Lachaise. Immortaliser un nom sur une tombe est une démarche singulière car « la matérialité de l’absence prend tout son sens« . Graver est un accomplissement : une démarche mémorielle, esthétique, spirituelle. Elle possède une signification dont les familles sont loin d’imaginer les enjeux – « on ne savait pas le travail que cela représente » entend-il souvent – et questionne le rapport du défunt à la postérité, c’est à dire à sa présence définitive en ce monde.

Il existe en effet d’infinies possibilités qui vont influencer plus ou moins consciemment le regard porté sur la tombe. Une inscription « en creux » va inciter au recueillement, à la prière, à l’intimité alors qu’une inscription en relief ou un ornement appellent l’attention et semblent guider le visiteur vers le défunt.

L’emplacement et la taille de l’inscription, la composition, la calligraphie, les symboles, religieux, militaires ou décoratifs sont des choix très forts, qui vont dessiner une représentation du défunt. Alors Luc écoute, propose, conseille, dessine pour expliquer, aide pour qu’il n’y ait pas d’autres regrets.

La technique est la même depuis les Egyptiens, seuls certains outils ont évolués, différents selon les matériaux. Pour le granit il utilise une pointe en tungstène serti dans de l’acier qu’il affûte avec une pierre diamantée, pour le calcaire ce sera des outils en fer forgé. Et toujours l’équerre et le compas. Et l’esprit.

Luc Talarn se défend d’être un artiste, il parle plutôt d’art appliqué  – « le savoir faire à une valeur » dit-il – mais concède que le coup de crayon est important car la gravure s’effectue à main levée. Ensuite c’est beaucoup de travail, de répétition, d’expérience. Et de détails : il grave plus ou moins profond selon le matériau, la typographie et même l’exposition car la course du soleil joue sur l’ombre portée.

Quand il n’est pas au Père Lachaise ou dans un autre cimetière, Luc Talarn grave, taille, sculpte au Louvre, au Panthéon, à l’Assemblée nationale ou à l’Orangerie, partout où son talent est utile. Il imagine et crée aussi ses propres œuvres dans son atelier du XIIème arrondissement.

Il pleut toujours sur le Père Lachaise. Luc Talarn sort un appareil pour sécher la pierre mouillée, rajuste son bonnet et passe la main sur la tombe en granit : « à la fin, c’est le caillou qui décide ». Au royaume des humbles, Luc Talarn est un géant.

Ce contenu a été publié dans Les hommes de l'art. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.